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Sarmer pour la guerre cognitive : le modèle DIMA 2024-04-28 Bertrand Boyer
LMI
désinformation
DISARM
cognitive warfare

Le concept de guerre cognitive revient sur le devant de la scène alors même que les études stratégiques lavait délaissé, le résumant souvent à une forme dégénérée des opérations psychologiques de la Guerre froide. Tout cela sentait bon les expérimentations sulfureuses du KGB et les tentatives de manipulations chimiques des cerveaux de la CIA. Pourtant, avec la révolution de linformation que nous connaissons, nos capacités cognitives semblent aujourdhui dépassées et laissent béantes les failles pour lexploitation de biais dans nos propres représentations et systèmes de valeurs.

cerveau

Au-delà de la “manipulation de linformation”, nos cerveaux sont devenus lenjeu dun combat permanent. Pour le monde économique en premier lieu, puisquil sagit de capter lattention, de provoquer un acte de vente, mais également pour le politique qui cherche à convaincre, rassembler et gouverner. Comme le rappelle Daniel Kahneman dans “système1, système2”, le cerveau humain est structurellement vulnérable, nos intuitions prennent régulièrement le pas sur nos raisonnements, exploitant ainsi de nombreux biais cognitifs. Dans un article pour le Rubicon, David Pappalardo propose lapproche ci-dessous :

La guerre cognitive vise à altérer directement les mécanismes de compréhension du monde réel et de prise de décision pour déstabiliser ou paralyser un adversaire. Il sagit dagir sur le système de décision adverse, son “command and control”.

Dans ce post, je névoquerai pas les pistes de recherche qui explorent lapport des neurosciences mais je proposerai une approche informationnelle visant à détecter le plus en amont possible la possibilité dune attaque cognitive.

Ainsi, il sagit de proposer un outil de mise en vigilance au regard des informations perçues. Il ne sagit pas ici de détecter des fake news et donc de faire le tri entre le vrai et le faux, mais bien dévaluer à quel point une information reçue est construite pour exploiter un ou plusieurs biais cognitifs. Ce système permet une mise en garde (contre soi-même) et devrait conduire à une moindre efficacité des campagnes de manipulation de linformation.

Le modèle DIMA

En sinspirant des matrices utilisées en cybersécurité (MITRE ATT&CK) et lutte contre la manipulation de linformation (DISARM), il ma semblé intéressant de proposer un framework qui permette didentifier les tentatives dutilisation de biais cognitifs dans notre consommation dinformation et den proposer une formalisation.

Une attaque cognitive correspond à lutilisation intentionnelle dun ou plusieurs biais ou heuristiques dont lobjectif est de provoquer une réaction de la cible.

Il existe de nombreux biais cognitifs, ils font lobjet détudes et de controverses mais dans le cadre de notre étude nous pouvons dégager des grandes familles qui seront régulièrement exploitées dans le contexte de la numérisation de linformation dans un processus de prise de décision. A linstar des matrices précédemment évoquées, il sagit de créer un modèle décrivant les étapes de lexploitation dune information et identifiant les techniques manipulatoires associées à chaque étape.

Le modèle repose sur quatre séquences (ou tactiques) qui correspondent chacune à une phase du traitement de linformation reçue par une cible.

Ces quatres phases sont : détecter, informer, mémoriser, agir (Detect, Inform, Memorise, Act). Le framework DIMA permet de visualiser les biais potentiellement exploités lors dune exposition à une information, il agit comme un “auto-diagnostic” permettant dévaluer les tentatives dexploitation cognitive et donc de manipulation de linformation pour obtenir un effet sur la prise de décision.

D — Détecter

Une caractéristique de lenvironnement informationnel est son abondance et la permanence des flux. On nattend plus le journal de 20h00 pour être informé, nos cerveaux sont exposés de façon continue à des flots de données à traiter. Dès lors, la capacité à détecter une information dans ce flux devient une première étape nécessaire pour espérer produire un effet sur une “audience cible”. Lorsque lon reçoit une information (ou que lon va la chercher) il est donc indispensable de savoir pourquoi nous lavons retenue plus quune autre? En quoi cette information se distingue du flot?

Pour sortir du lot et être détectés, les “ingénieurs du chaos” vont donc chercher à exploiter plusieurs bais cognitif que nous rassemblerons dans notre framework. Nous y retrouverons par exemple leffet de contraste, le biais de distinction ou encore le biais de confirmation qui consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues ou ses hypothèses.

I — Informer

Après la phase de détection, débute la phase de traitement de linformation reçue. Il faut maintenant lui donner du sens. Comment cette nouvelle donnée vient-elle interagir avec mes convictions antérieures et mes représentations du monde?

Le cerveau humain aime les histoires cohérentes (en plus dêtre faignant), nous allons donc naturellement compléter linformation reçue pour quelle ne séloigne pas trop des croyances pré-existantes. Ainsi, le plus souvent, ce nest pas le “manipulateur” qui construit le récit, mais bien nous-même qui remplissons les vides entre deux informations. Lhistoire se tisse elle-même. Cest typiquement ce biais qui nous fait voir des motifs réguliers là où il ny a quune série aléatoire de points et qui renforce les stéréotypes. Ce phénomène dit de “lheuristique de représentativité” est par exemple utilisé dans lexpérience conduite par Kahneman et Tversky : on présente aux participants une description stéréotypée dune personne fictive nommée Steve, le décrivant comme timide, serviable, introverti et organisé. Ensuite, on leur demande dévaluer la probabilité que Steve exerce différentes professions. Les participants ont eu tendance à juger quil était plus probable que Steve soit bibliothécaire, se basant sur le stéréotype de cette profession correspondant aux traits décrits, plutôt que sur des statistiques objectives. Ce type de manipulation exploite notre propension à catégoriser rapidement les gens et les situations en se fiant à des représentations mentales simplistes, au lieu danalyser objectivement les probabilités réelles. Cela peut être utilisé pour propager des préjugés et des idées reçues. Dautres biais sont utilisés pour orienter notre traitement de linformation et lui donner du sens:

  • le biais de confirmation (déjà exploité dans la phase de détection) qui va venir renforcer les croyances pré-existantes (quitte à déformer la réalité des faits);
  • le biais de représentativité qui va nous conduire à classer rapidement les choses en nous basant sur des ressemblances superficielles;
  • le biais dancrage qui favorise la première information reçue comme référence pour donner du sens aux informations suivantes.

M — Mémoriser

Ceux qui exploitent nos biais cognitifs cherchent naturellement à ce que nous ne rejetions pas les informations quils diffusent. Nous devons les mémoriser ou à minima les intégrer dans nos schémas de représentation et nos prises de décision. Dans ce contexte le biais de cadrage, aussi appelé “framing effect” ou “framing bias” en anglais, simpose. Ce biais illustre notre tendance à réagir différemment à une même information selon la façon dont elle est présentée ou “cadrée”. Celui-ci, couplé avec le biais de positivité qui fait que lon retient plus facilement les expériences positives que négatives peut conduire à des représentations totalement inverses de la réalité. La mémorisation de linformation repose donc sur les effets cumulatifs de biais préalablement exploités. Ainsi, le biais de saillance (déjà utile dans la phase de détection) peut être combiné au biais de confirmation pour favoriser lancrage de linformation.

A — Agir

Dans la dernière partie du framework nous nous intéressons à ce qui nous fait réaliser des choses et agir sur notre environnement. Après avoir capté notre attention, donné du sens à une information, faire en sorte quelle ne soit pas rejetée, les acteurs de la manipulation de linformation vont chercher à nous faire agir sur la base de linformation manipulée quils diffusent. Pour ce faire ils ont à disposition, là encore, un certain nombre de biais à exploiter. Outre le biais de cadrage déjà évoqué, nous retiendrons principalement :

  • le biais daction qui est la tendance à préférer laction à linaction, même lorsque rien ne prouve quagir sera plus bénéfique que de ne rien faire;
  • le biais de disponibilité, cest la tendance à accorder plus dimportance aux informations facilement disponibles dans notre esprit, même si elles ne sont pas représentatives de la réalité. On peut alors surestimer lurgence dagir sur la base dexemples frappants mais non représentatifs qui nous viennent spontanément à lesprit (doù lintérêt de la phase “Mémoriser”).
  • le biais de renforcement ou dauto-confirmaiton, déjà important dans la partie mémorisation, est à lœuvre dans les bulles de filtre numériques et conduit à nous faire agir suivant notre environnement. Il est très lié au biais de conformité.

Conclusion (partielle):

Ce premier post permet de présenter larchitecture globale du framework DIMA en construction. Il illustre demblée leffet cumulatif de certains biais dans le traitement de linformation mais parallèlement laisse entrevoir des solutions pour sen prémunir.