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The Weaponisation of everything 2024-04-22 Lilou Berenguier
book review
recension

Publié avec l'aimable autorisation des Presse de Science Po. Référence : Berenguier, Lilou. « Mark Galeotti, The Weaponisation of Everything: A Field Guide to the New Way of War, New Haven, Connecticut, Yale University Press, 2022, 248 pages », Les Champs de Mars, vol. 37, no. 2, 2021, pp. 205-207

The Weaponisation

The Weaponisation of Everything : A Field Guide to the New Way of War, essai percutant de Mark Galeotti, russologue associé au Royal United Services Institute, dresse un panorama des formes de conflictualité dites « hybrides » ou « sous le seuil » et des théâtres sur lesquels les puissances sy livrent. Les opérations sous le seuil se couvrent dune certaine ambiguïté et relèvent de la notion de « guerre politique », décrite par George Kennan comme « lemploi par une nation de tous les moyens à sa disposition, à lexception de la guerre, pour atteindre ses objectifs ».

Constatant la raréfaction des conflits ouverts interétatiques, à mesure que le coût de la guerre, à la fois financier, humain et politique, sest accru, Galeotti affirme que la confrontation entre États tend désormais à se jouer hors de la chose armée, transformant ce faisant des domaines dinterdépendance tels que le droit, laide au développement, la culture et linformation en champs de bataille.

Les opérations sous le seuil ne marquent pas tout à fait une « nouvelle façon de faire la guerre ». Elles sinscrivent au contraire dans une longue tradition, en pleine « Renaissance » : pour Galeotti, qui sappuie sur de nombreux exemples historiques, la recrudescence de ces pratiques évoque la compétition stratégique des cités-États italiennes aux xiv et xvie siècles. Cette « renaissance de larsenalisation » (chapitre 1) prend racine dans un monde à linstabilité croissante, fragmenté par le recul de lÉtat et la montée en puissance des acteurs privés, lavènement des nouvelles technologies de linformation et de la communication, et même de la gig economy (léquivalent de « luberisation »). Le retour du mercenariat, à limage du groupe paramilitaire russe Wagner, illustre tant la convergence de lexternalisation de la force armée à des acteurs privés, la répugnance des États à y avoir explicitement recours et lubérisation de léconomie, que lavènement de ce que A. Krieg et J.-M. Rickli appelaient en 2019 lère de « la guerre par supplétifs ». Lexternalisation de la force armée mais aussi du renseignement se fait en parallèle dune multiplication des missions des armées et de la militarisation du discours civil (chapitre 3), les deux tendances découlant de lélargissement de la notion de sécurité.

La deuxième partie examine les stratégies de guerre par léconomie employées par les États, des sanctions économiques contre lIran et la Russie aux projets de grande envergure comme les nouvelles routes de la soie chinoises. Pour lauteur, ces outils de coercition économique ont une efficacité limitée face aux coûts engendrés : les sanctions de lUnion européenne contre la Russie après lannexion de la Crimée en 2014, ont moins coûté à Moscou quaux pays membres, et la BRI senlisait déjà avant le ralentissement économique de la Chine dû à la pandémie de Covid-19. La subversion économique, par le lobbying ou la cooptation dindividus influents, avec lexemple manifeste de Gerhard Schröder et Gazprom, est aussi une alternative moins coûteuse et plus insidieuse à la coercition économique. Quand les moyens légaux ne suffisent plus, les États peuvent se tourner vers le monde du crime, à travers la conduite dassassinats ciblés pour éliminer des opposants politiques, comme la fait la Russie pour les militants tchétchènes, ou la participation à toutes sortes de trafic pour maintenir la stabilité financière de son régime, à linstar de la Corée du Nord. Cette frontière entre légal et illégal est dautant plus poreuse dans le cyberespace.

La troisième partie, consacrée à « la guerre qui nous entoure », décline les principaux théâtres de conflictualité sous le seuil. En plus du droit (lawfare), de linformation (information warfare) et de la culture (culture war), Galeotti identifie « la vie » (chapitre 7) comme un autre domaine de la guerre politique, avec des armes comme laide au développement, leau, la santé, lénergie et les migrations. Déjà mise en œuvre par la Libye et la Turquie, linstrumentalisation des flux migratoires aux frontières polonaise et lettonne par le Bélarus a dailleurs été qualifiée d« attaque hybride » par lUnion européenne.

Lessai de Galeotti pâtit, du fait de la forme choisie, de raccourcis et simplifications, que lauteur reconnaît volontiers. On regrette un manque de définition des notions employées – « guerre hybride », « guerre de la zone grise », « guerre sans limites », « opérations non cinétiques » – et ce alors même que Galeotti en souligne le flou.

Surtout, largument central sur la raréfaction des conflits ouverts interétatiques ne tient pas à lépreuve des faits, linvasion de lUkraine par la Russie étant survenue quelques mois après la parution de louvrage. Le panorama dressé reste néanmoins dactualité, dautant que lauteur rappelle que les opérations sous le seuil peuvent aussi appuyer des actions cinétiques, et non pas seulement sy substituer. Galeotti amorce une réflexion sur les stratégies de résilience des États, mais aussi du secteur privé et des citoyens, face à cette guerre politique « permanente » (chapitre 12). Lauteur invite à prendre en compte les avantages dun monde instable, où tout théâtre de conflictualité porte des opportunités. La guerre du droit, par exemple, peut être une guerre juste (en passant du lawfare au lawfair) lorsque les instruments du droit international sont mobilisés pour poursuivre des criminels de guerre ou sassurer de lapplication dembargo et de sanctions contre un pays agresseur ou un gouvernement sanguinaire. Pour Galeotti, les démocraties peuvent sapproprier, dans les limites qui se posent à elles, certaines formes de conflictualité sous le seuil afin de faire prévaloir leurs intérêts face à des régimes qui les déploient déjà, en réinvestissant le champ de linfluence, par exemple.

Dès lors, un défi qui se pose aux États démocratiques est dallouer au mieux des ressources limitées afin de répondre à des menaces protéiformes : investir dans la masse des armées, dans laide au développement pour traiter linstabilité à sa source, ou encore dans le développement de secteurs de niche, à limage de lEstonie dans le cyber.

Mis en ligne sur Cairn.info le 21/11/2023 The Weaponisation of Everything