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2024-01-03 14:29:06 +01:00

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title: Cryptomonnaie nationale chinoise
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De la crainte d'une concurrence privée à la souveraineté monétaire, à
une souveraineté économique retrouvée grâce à une cryptomonnaie
nationale, l'expérience chinoise.
De fin 2019 à mai 2022, les chinois ont effectué 83 milliards de yuans
en transactions marchandes (12 milliards d'euros) dans la monnaie
nationale digitale appelée e-CNY. C'est une sorte de cryptomonnaie
d'État, gérée par la People's Bank of China (PBOC), dont la valeur est
associée à la devise nationale et garantie par l'État. Ce e-CNY n'est
aujourd'hui encore qu'au stade de pilote, dans 23 villes et 15
provinces, et nécessitera des investissements importants pour adapter le
fonctionnement et l'équipement des institutions financières, ainsi
qu'une réforme importante des textes et régulations de la banque
centrale. Le modèle économique de cette devise n'est pas encore défini,
sa gestion et conversion sont gratuites pour tous les acteurs
aujourd'hui, ce qui ne sera pas soutenable dans un modèle courant. Si
elle est développée à usage de marché interne et du secteur de la vente
aux particuliers dans un premier temps, il est possible d'envisager un
usage plus international et stratégique d'une devise digitale dans un
monde en fragmentation.
L'initiative remonte à 2014, et a été formalisée en détail dans le plan
Économie 2035 de 2020 qui définit la recherche dans ce domaine comme un
axe stratégique : « faire progresser régulièrement la recherche et le
développement de la monnaie numérique ». Ce programme national de la
banque centrale est confié à M. MU Changchun, directeur de l'Institut de
recherche pour la devise digitale. C'est déjà le deuxième plan
quinquennal qui intègre le développement de cette devise digitale comme
un axe stratégique, et coordonne les aspects de recherche, les questions
d'investissements en infrastructure, les évolutions législatives, et la
vision de l'économie pour la Chine.
Le contexte de digitalisation du pays est très en avance sur les pays
occidentaux. Le développement économique et la montée du pouvoir d'achat
de la population se sont faits avec la digitalisation. Le développement
du commerce a donc eu lieu, en parallèle avec les paiements digitaux.
Depuis 20 ans, la majorité des transactions des particuliers s'effectue
sur deux systèmes de paiement digitalisés sur smartphone : Alipay's et
WeChat pay. Les 83 milliards de yuans de transaction en trois ans en
eRMB sont donc à rapprocher des 10 trillions de yuans mensuels en 2020
pour Alipay's.
L'enjeu du gouvernement Chinois dans l'acceptation par la population de
cette nouvelle devise nationale n'est donc pas le passage au digital,
mais le changement de support digital. Et cela passe, comme dans toutes
les économies du monde, par la confiance puis par l'expérience
utilisateur. La confiance en une cryptomonnaie d'État passe par la
communication sur le caractère légal et garanti par l'État. La Chine
n'emploie jamais le mot cryptomonnaie pour désigner le e-CNY, mais parle
de yuan digital.
La première interface utilisateur intuitive et pensée service arrive en
janvier 2022 dans les 12 premières villes pilotes, juste avant l'essai à
grande échelle pour les JO d'hiver à Pékin. Elle comprend les fonctions
de paiement sur smartphone, mais également l'ensemble des transactions
bancaires à distance, les virements et transferts d'argent, les échanges
de e-CNY de particulier à particulier, et un porte-monnaie électronique
e-CNY accessible en ligne et hors ligne. Tout cela sans frais dans la
version pilote.
Cette monnaie digitale doit également assurer les trois fonctions
monétaires principales de stockage de valeur, unité de compte, et moyen
d'échange. Les deux premiers étant garantis par l'État et la banque
centrale, les prochaines étapes vers un pilote général se concentrent
sur le moyen d'échange pour faciliter l'adoption par la population, et
donc plus particulièrement sur le secteur de la distribution et vente
aux particuliers. Un autre accélérateur pour l'adoption nationale de
cette devise est le paiement des salaires, la population étant
naturellement encline à dépenser son salaire dans la monnaie de
paiement. Enfin, arrive en dernière étape, le paiement des taxes et
services à l'État. Les évolutions législatives vont s'accélérer pour
supporter l'adoption du e-CNY.
La vision a été donnée par le directeur de l'Institut de recherche sur
la devise digitale de la banque centrale de Chine, M. MU en juillet
2022, avec en priorité la réconciliation de deux objectifs antagonistes
: la protection de la vie privée des utilisateurs de cette monnaie, et
le respect des réglementations internationales de lutte contre le
blanchiment de l'argent et contre le financement du terrorisme. Le
concept retenu est celui de « l'anonymisation contrôlée », ne permettant
un accès aux données de l'individu que suite à détection de flux
financiers douteux. Les évolutions législatives concerneront également
la certification d'opérateurs, les conditions de transferts de fonds,
les sanctions en cas de transactions illégales. Une initiative nationale
donc, mais qui pose des questions de stratégie monétaire et de
gouvernance économique mondiale. Si la devise dominante actuelle dans le
commerce international est le dollar américain, et le système
transactionnel interbancaire SWIFT, les récents événements et
l'isolement économique de la Russie posent la question de flux
financiers alternatifs. La Russie a ainsi proposé à ses partenaires
commerciaux un système alternatif au SWIFT pour les transactions
bancaires. Une devise digitale garantie par l'État chinois pourrait tout
aussi bien devenir demain une alternative au dollar américain pour les
transactions commerciales internationales. La Chine a également un
système de transaction interbancaire concurrent au SWIFT, le Cross
Border Interbank Payment System (CIPS). C'est dans ce contexte de guerre
Ukraine -- Russie que l'ancien Gouverneur de la Banque Centrale M. ZHOU
Xiaochaun a prononcé un discours au forum pour la finance globale à
Tsinghua en avril 2022 se voulant rassurant sur le sujet :
« Le yuan digital de la Chine est destiné aux transactions pour le
commerce de détail en Chine, pour la commodité des gens ordinaires et
petits commerçants, pas pour remplacer le dollar américain. (...) Mais
il n'est pas exclu que le e-CNY ne puisse pas servir de paiement à
l'international dans le futur, mais plus à des fins de commerce
international. »
Si la Chine est la première économie majeure à avoir lancé la
digitalisation d'une devise nationale, elle n'est pas le seul pays à
développer cette technologie. La première initiative a eu lieu aux
Bahamas, dont la banque centrale avait lancée, en octobre 2020, le Sand
Dollars. Selon un sondage de la Bank for International Settlements de
fin 2019 auprès de 66 banques centrales majeures, 80
Bahamas, avec une devise digitale lancée officiellement en 2020 ;
Ukraine et Uruguay, avec des pilotes menés et finalisés en 2018 sans
généralisation ;
Caraïbes, Suède et Chine avec des pilotes lancés en 2020 et toujours en
cours.
La Chine étant la seule grande puissance économique à développer à son
échelle cette devise digitale, elle est également en position de définir
de futurs standards mondiaux. Le Président de la République Populaire de
Chine avait prononcé un discours au G20 le 21 novembre 2020 en ce sens
où il avait appelé l'organisation « à discuter de l'élaboration des
normes et des principes pour les monnaies numériques des banques
centrales (CBDC) avec une attitude ouverte et accommodante, et à gérer
correctement tous les types de risques et de défis tout en faisant
pression collectivement pour le développement du système monétaire
international ». Les BRICS, depuis le déclenchement de la guerre entre
Russie et Ukraine, sont à la recherche de solutions alternatives
économiques et financières. L'Argentine, et plus récemment l'Algérie,
ont officiellement candidaté pour rejoindre l'organisation. De nombreux
autres pays du Sud cherchent à s'en rapprocher. Même si la création du
e-CNY avait pour but premier le marché intérieur chinois, les tensions
mondiales et l'imposition des sanctions économiques et financières dans
un conflit armé accélèrent la recherche de solutions alternatives pour
le commerce mondial, et par conséquent l'intérêt pour le e-CNY.
Les freins principaux restant à l'adoption internationale d'une devise
numérique sont la capacité technologique et la définition des standards
internationaux. Des contraintes qui trouveront une solution dans le
temps tant que le financement sera assuré et la vision long terme
maintenue. Les deux facteurs clés du succès de cette démarche chinoise
sont le financement et la vision long-terme associés à une ressources
humaine formée et disponible en grand nombre. Une question se pose sur
la capacité d'autres États à mobiliser ces mêmes facteurs clés pour
permettre la mise en œuvre d'une e-devise alternative sur le marché
financier international, et ainsi offrir aux autres pays le choix entre
plusieurs modèles économiques et sociétaux.