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The Sound of Silence Et si nous analysions les silences pour mieux comprendre et mesurer limpact des opérations dinfluence ? 2025-07-31 Bertrand Boyer
LMI
desinformation
influence

Dans le cadre de lanalyse de “la menace informationnelle”, le schéma classique nous conduit à observer et mettre en lumière le poids des récits poussés par les attaquants, les vulnérabilités que le discours exploite et la diffusion de ces derniers. On cherche des “métriques” pour analyser la “viralité” et lon tente de répondre à la question de “limpact”.

silence

“Cest grave docteur?”

Cette question, qui est au cœur dun post de Viginum le 10 juillet dernier, nous engage à repenser la question de la mesure dimpact des opérations de manipulation de linformation. Pourtant, un exemple récent ma conduit à décentrer le regard de lanalyse et à minterroger sur limpact du silence dans la guerre de linformation plus que lanalyse du bruit des récits.

Analyse de limpact informationnel

Sur la question de lanalyse de limpact, il nexiste pas (à ma connaissance) de méthode formelle robuste, pour autant, on peut toutefois imaginer un processus itératif qui, partant dune cartographie initiale, déboucherait sur des recommandations pour les décideurs.

On pourrait alors sinspirer des techniques de “gestion de crise”, “délaboration dune décision opérationnelle” ou de réponse à incident développées en cybersécurité. A ce titre les documents de lANSSI fournissent des pistes très intéressantes dont la séquence E3R : endiguement-éviction-éradication-reconstruction.

La séquence E3R

Dès que lon évoque lanalyse dun phénomène, et singulièrement lorsquil est “informationnel”, le besoin de mise en perspective temporelle est essentiel. Le temps de lanalyse nest plus celui de la crise ni celui de la remédiation à proprement parler. Limpact informationnel, pour être mesuré et analysé aura donc besoin de temps (mais cest un autre sujet).

Alors à quoi peut ressembler une méthode hybride danalyse de limpact dun incident informationnel ? Le tableau ci-dessous regroupe ce que pourrait être les différentes étapes du processus danalyse à fin dévaluation.

Proposition d’analyse en 6 séquences Proposition d’analyse en 6 séquences

Cette méthode permet dapporter une réponse initiale à lanalyse dun phénomène informationnel (un évènement ou un incident) mais elle occulte une large partie des acteurs impliqués dans les opérations dinfluence : ceux qui ne disent rien ou ceux qui ninteragissent pas. Cest le biais de toute les approches techniques que lon rencontre dans le numérique : on observe que ce que lon sait mesurer, on mesure que ce que lon voit.

Or, en matière de renseignement on le sait bien, labsence dinformation est une information en soi. Il convient donc de se pencher sur les vides informationnels alors même que lon analyse les récits déployés par les attaquants. Cette analyse des “silences” permet en outre de donner corps à une véritable appréciation de situation qui replace le phénomène informationnel observée (lincident) dans un ensemble plus vaste.

Comment analyser les “silences informationnels”

Si lon veut contribuer à la mesure dimpact dun incident il convient de construire des indicateurs de silence informationnel. Ces indicateurs doivent donc mesurer (ou évaluer) le sens dune “non-communications” ou dune abstention daction dans un écosystème médiatique (par abstention daction on peut introduire les notions dinteractions sur les réseaux sociaux, ne pas liker ou ne pas commenter ni partager). Il sagit danalyser ce qui nest pas dit ou pas fait, qui ne parle pas ou nagit pas dans lespace informationnel, et quand (ou à partir de quand) ces silences deviennent significatifs.

Typologie des silences informationnels

Pour débuter notre approche nous proposerons trois grands types de silence, ceux liés à des acteurs clés, ceux liés à des zones géographiques et ceux liés à des thématiques.

Dans le cas dun incident informationnel on peut alors identifier les acteurs clés susceptibles de réagir ou ceux dont on est en droit dattendre une réaction ou une action. On pense en particulier aux acteurs institutionnels (gouvernements, ministères, organisations internationales), aux acteurs économiques, aux leaders dopinions (influenceurs) etc. Pour ces “silences” la métrique à prendre en compte est temporelle. Il sagira dévaluer le délais entre lévènement et la réaction. Ce temps est porteur de sens. Réagir trop vite est parfois suspect (“ils savaient”, “ils cachent quelque chose”) et en matière de communication institutionnelle la parole est déjà largement démonétisée. Mais réagir trop tard ou pas du tout est également problématique. Lanalyse de cette période de silence apporte donc des éléments important pour la mesure dimpact dun évènement.

De même, les “silences géographiques” peuvent nous éclairer car labsence de couverture ou de réaction dans certaines zones (pays alliés, rivaux, neutres) mettra en lumière des “trous” dans la diffusion dun incident.

Enfin, les silences thématiques questionneront les aspects non abordés lors du traitement de lincident (causes profondes, implications et responsabilités) et pourront mettre en lumière des sujets sensibles délibérément omis. Une grille danalyse pourrait alors consister à identifier les sujets attendus mais non traités et non observés.

Comment mesurer le vide ?

Deux paramètres nous semblent essentiels ici pour tenter “découter le silence” et en tirer des éléments factuels pour lanalyse. Le premier facteur est le temps le second étant le volume (ou lampleur)

Pour mettre en œuvre cette écoute du silence, lindicateur temporel est essentiel. Il mettra à jour, les temps de réaction (avant des déclaration officielles par exemple), des durées totale dabsence de communication, une frise temporelle dactivité mettant en lumière les zones dinactivité durant lincident ou dans son prolongement.

Le second paramètre va évaluer lampleur de la non-réaction. On pourra par exemple évaluer le pourcentage dacteurs attendus nayant pas communiqué ni réagit (taux de non-réponse). Puis, sur la base des silences géographiques mettre en lumière la couverture dun incident et le ratio entre la couverture observée et celle attendue. Enfin, “lampleur du silence” peut sévaluer au bruit parasite généré par ailleurs ou aux tentatives de détournement et desquive. Ainsi, un acteur dont on est en droit dattendre une réaction à un incident peut choisir déviter le sujet et délibérément sengager sur dautres thèmes. Dès lors on pourra construire une sorte “dindicateur dévitement” (ex: un acteur impliqué dans un incident produit X messages/posts depuis lincident dont Y ne portent pas sur lincident).

Le silence est dor… même en LMI

Sûr de limportance dintégrer cette dimension à lanalyse, nous avons ici proposer une construction empirique doutils de “mesure du vide”. Pourtant une fois la mesure effectuée, linterprétation de celle-ci va dépendre daspects qualitatifs que seul lanalyste pourra apprécier. Qualifier le silence et linterpréter cest définir sil est contraint, ou choisi, sil illustre une approche défensive, ou sil est lindicateur dune contre-attaque calculée.

Au-delà de laspect individuel il sagira également de dégager des dynamiques de groupes. Y-a-t-il une coordination entre acteurs? (pour orienter ou réorienter une thématique, pour fermer la communication, etc..). Car si en effet tout un groupe se mure dans la silence face à un incident informationnel, quil en soit la cible ou le témoin indirect, la signification de ce silence nest pas la même sil résulte de la somme des choix individuel ou dune dynamique de groupe imposée. Dans ce cas létude de limpact de lincident est enrichie et peut révéler des aspects inédit sur les objectifs de lattaquant.

Enfin outre les causes individuelles et les dynamiques collectives lévolution dans le temps de ces facteurs sera, là encore , un élément crucial de lanalyse.

Conclusion

En complément des mesures et analyses des mécanismes de diffusion dun récit, lobservation des silences informationnels apporte une dimension complémentaire à lévaluation de limpact dun incident.Le silence a probablement toute sa place dans la mesure defficacité dune opération dinfluence. Si une attaque informationnelle “fait taire” sa cible et la plonge dans un état de sidération, le temps de silence généré est à mettre au crédit de lattaquant. Lopération est ainsi probablement plus efficace que ce que lon peut initialement imaginer.

Les silences sont également de précieux indicateurs pour lanalyste qui pourra identifier des opportunités stratégiques à exploiter et proposer des mesures de protection en anticipation. Car les vides informationnels nattendent quà être occupés… Un silence offre un axe dattaque potentiel à un acteur malveillant qui y verra loccasion dimplanter son récit et daugmenter ainsi sa surface de diffusion.

Écoutons les silences ils nous en apprennent beaucoup.